Crise dans la Ruhr
Opel ne veut plus fabriquer de voitures, ThyssenKrupp est en difficulté. Qu'adviendra-t-il de Bochum, lorsque la dernière aciérie fermera ?
Article d'Andreas Wyputta, paru le 27/12/12 dans le taz.de, disponible ici : http://www.taz.de/!108058/
Un sourire déconcertant. Qui aborde un habitant de Bochum à propos de la menace de fermeture de l'usine Opel, récolte souvent ce sourire. Quelque chose de suffisant, de dédaigneux. « Il est clair depuis des années, qu'Opel fermera » déclare un trentenaire, dont des amis sont salariés d'Opel.
« Les gens d'Opel reçoivent tous des dédommagements importants » précise une pizzaiolo de la rue Hattinger. Même dans les cafés, les « super salaires » de chez Opel sont un sujet de conversation. À Bochum, ville qui connaît un changement structurel depuis 50 ans et où les dernières mines ont disparu depuis 1973, la misère sociale croît.
Ulrike Kleinebrahm connaît ces rictus, ces discours tout faits. « Une société, qui fonctionne ainsi, est malade ». Kleinebrahm est la responsable de la section de Bochum du syndicat IG Metall, son bureau est situé dans la « maison centenaire ». Le syndicat l'a acheté en 2004 dans le quartier de Stahlhausen. La forme de poing de la maison est censé rappeler le symbole d'IG Metall, la main protectrice. Sur le toit, le drapeau rouge du syndicat flotte avec entêtement.
Un parc à la place d'une aciérie
Dans la maison centenaire, Ulrike Kleinebrahm est entourée des symboles du dur travail et de son déclin : quelques mètres plus loin dans l'allée, la compagnie de Bochum fondée en 1854 produit des essieux pour les trains. L'aciérie correspondante a disparu depuis longtemps, une grande partie du terrain est maintenant un jardin public. La halle centenaire, dans laquelle les hauts-fourneaux jadis tournaient à plein, est devenue un des lieux centraux des manifestations du spectacle culturel « Ruhr 2010 ».
Concernant le mythe des salaires « démentiels » versés aux travailleurs de chez Opel, la collaboratrice de IG Metall peut rapidement y mettre bon ordre : la grille de salaire d'un salarié d'Opel serait correcte, mais pas sur-dimensionnée. Les OS gagnent environ 2000€ brut mensuels chez le constructeur automobile, les ouvriers qualifiés du « groupe 10 » peuvent toucher jusqu'à 2748,50€. A cela s'ajoute une prime d'environ 10 %.
Ulrike Kleinebrahm envisage l'année 2016 avec anxiété. En effet, à cette date, non seulement la production de véhicules chez Opel, qui compte encore 4 000 emplois, devra être sabordée, mais selon l'estimation du comité d'entreprise, ce sont jusqu'à 40 000 emplois liés à cette usine dans toute la Rhénanie du Nord-Westphalie, qui seront concernés. La chambre du commerce et de l'industrie de la région Ruhr parle de 20 000.
La vente de la « phase à chaud »
La dernière aciérie restante de Bochum est aussi menacée : ThyssenKrupp a conclu la vente de la « phase à chaud », c'est à dire la production à proprement parler de l'acier, au producteur finlandais d'acier inoxydable Outokumpu. 2015 sera l'année test pour la rentabilité. Si Outokumpu devait ensuite fermer l'usine, la phase de transformation, que ThyssenKrupp veut mener en propre, ne pourrait pas être assurée. 3 000 emplois sont en jeu.
Au siège d'IG Metall, Ulrike Kleinebrahm ne veut pas penser à l'arrêt complet de l'aciérie. « La crise automobile est déjà assez dure comme ça ». Au lieu de cela, elle parle de « la cogestion élargie dans l'acier », et du fait, que « sans l'approbation des représentants patronaux rien ne fonctionne ». La syndicaliste expérimentée sait, ce que signifie une fermeture d'usine pour les salariés. Lorsque le fabriquant de téléphonie Nokia a quitté précipitamment Bochum en 2008, Kleinebrahm a négocié. « Les ingénieurs avaient de bonnes perspectives », se rappelle-t-elle.
Le pire fut pour les nombreux salariés sans qualification de la production et du conditionnement : environ 500 d'entre eux sont encore et toujours au chômage. Les autres n'ont qu'un emploi précaire : des CDD, de l'intérim, des « boulots à 400€ ».
Le pire scénario ?
Luidger Wolterhoff ne veut pas imaginer le pire scénario. En costume d'affaire gris, le directeur de l'agence pour l'emploi de Bochum reçoit dans un immeuble de bureaux en briques rouges. Jusqu'en 1958, les mines Dannenbaum extrayaient ici le charbon, aujourd'hui c'est la rue de l'université qui passe devant la porte. Avec 35 000 étudiants et 6 000 emplois, l'université est le plus gros employeur de la ville.
Wolterhoff est ostensiblement positif dans sa formulation. Concernant la situation du groupe ThyssenKrupp, qui a déjà perdu 5 milliards d'euros dans de mauvais investissements dans des aciéries au Brésil et aux Etats-Unis, et qui a viré la moitié du comité de direction, il ne veut pas « spéculer ». Le nombre d'emplois perdus par Opel resterait, quant à lui, peu clair. Finalement le représentant du comité de direction par intérim Thomas Sedran promet, que le constructeur automobile resterait dans la Ruhr avec un centre de logistique et une unité de composants.
Wolterhoff préfère deviser sur le taux relativement bas de demandeurs d'emploi à Bochum, environ 9,5 %. Dans les villes voisines de Dortmund et Essen, il monte au dessus de 12 %. Le chef du service de l'emploi reconnaît tout de même que la fermeture simultanée de l'usine automobile et de l'aciérie serait un coup dur pour la ville et toute la région.
Sur la boîte aux lettres, une bouteille de Schnaps vide
La maire de Bochum Ottilie Scholz ne veut pas risquer de provoquer une catastrophe en l'évoquant. Elle connaît les rumeurs, selon lesquelles le patron de Thyssen-Krupp ne serait plus intéressé par la production d'acier dans l'ensemble. Devant la mairie, se trouve la cloche de 15 tonnes, que la compagnie bochumoise a coulé en 1867 pour l'exposition universelle de Paris, sur la boîte aux lettres, c'est une bouteille de Schnaps vide.
La sociale-démocrate Scholz reçoit dans son bureau. Des tapis étouffent le bruit, des boiseries sombres recouvrent les murs. Scholz répond que, non, son administration n'aurait « aucun de Plan B » sous le coude, pour amortir la fermeture de l'usine Opel. Elle a appris la fin de la production automobile par la presse, elle ne connaît pas personnellement le directeur d'Opel en fonction M Sedran, de même que son prédécesseur Karl-Friedrich Stracke. Enfin, la maire explique que les décisions sont prises à Detroit par la centrale de General Motors, maison mère d'Opel.
Ottilie Scholz préfère parler des 7 universités, qui ont actuellement leur siège à Bochum. Elle place notamment son espoir dans l'école pour la santé fondée en 2009. L'avenir de la ville se trouverait dans des pôles de compétences spécialisés dans le secteur de la santé. Déjà plus de 100 entreprises travaillent aujourd'hui dans ce domaine. Ainsi, le nouveau « campus de la santé » est en train de voir le jour près de l'université de la Ruhr.
Le campus pourrait être « une partie du futur », selon Jörg Bogumil, spécialiste en science de l'administration, qui a étudié à Bochum et qui y enseigne aujourd'hui. Mais l'administration de Scholz aurait du mal à le rendre attractif. Cela fait trop longtemps qu'on mise sur les grandes structures industrielles dans la Ruhr, trop longtemps qu'on ne s'est pas suffisamment occupé des structures de taille moyenne.
Depuis déjà longtemps, la Ruhr n'est plus le cœur industriel de la Rhénanie du Nord Westphalie. Dans cette région, seulement une personne sur cinq travaille dans l'industrie. Dans le sud de la Westphalie, marquée par un tissu de PME, le taux est de 37 %. Ce qui reste ici, ce sont des jobs dans le secteur des services. Mais Bogumil sait bien, qu'ils sont souvent « précaires et mal payés ».
Des valises pleines d'argent
Des milliers entrent encore chaque jour dans l'usine Opel de Bochum. Le représentant du comité d'entreprise Rainer Einenkel est lui même depuis 40 ans chez Opel. Il peut voir directement la porte 1 du site principal depuis son bureau. Il sait, combien GM aimerait se débarrasser d'eux. Le comité central d'entreprise négocie avec la direction d'Opel pour le maintien de toutes les usines. « Ils veulent nous sortir des négociations en nous achetant. Ils ont des valises pleines d'argent dans les mains ».
Le chef du comité d'entreprise parle peu de l'influence du politique. Il mise sur la solidarité des habitants de Bochum, et de toute la région. En début d'année, une fête organisée par le comité pour célébrer les 50 ans de l'usine, devrait leur donner du courage. En effet, la direction ne craint rien plus que le spectacle de milliers de personnes, qui se mobilisent pour le maintien des emplois chez Opel. La précédent fête d'anniversaire, prévue pour décembre, a été annulée par la direction, officiellement pour les raisons de sécurité.
Opel veut virer au plus vite l'ancien communiste Einenkel. Déjà, la précédent chef Stracke lui aurait offert une généreuse convention de préretraite, rapporte le comité d'entreprise. Il y a autre chose qu'Opel dans la vie, aurait déclaré Stracke. L'homme de 58 ans choisit d'ignorer la fermeture prévue pour 2016 : « Je veux rester encore 7 ans chez Opel. Jusqu'à la retraite ».